28 septembre, 2006

LAXISME DES JUGES ?


Ces derniers jours, nous avons tous vu ressurgir, avec toujours autant de force, le problème de la sécurité et du débat cliché "repression ou laxisme". Nicolas Sarkosy, suite à une note du Préfet de Seine Saint Denis et aux graves incidents de la cité des Tarterets, a dénoncé les juges de Bobigny qui, pour des raisons qui seraient plus idéologiques que judiciaires, traîneraient les pieds en amoncelant sur la tête des délinquants des piles de sursis ou d'acquittements successifs. Protestation des magistrats, indignation des professions judiciaires, cortèges d'articles et de commentaires politiques, hurlements de la gauche, inquiétudes du Président, réception à l'Elysées, enfoncement du clou par Nicolas Sarkosy, soutient d'une partie des policiers qui arrêtent toujours les mêmes, sondages, affaiblissement de la virulence des tons, retour à la case départ.

En fait personne n'a tort dans cette histoire. Il y a dans cette polémique des problèmes à la fois humains et techniques en matière de police et de justice qui doivent être abordés. Et désolé, mais Sarko a le mérite de donner un coup de pied dans la fourmilière même si la réponse au problème n'est pas appropriée.

Dieu sait pourtant, si cette fourmilière – ce "cirque judiciaire" comme certains n'hésitent pas à le qualifier - a besoin d'un coup de pied quelque part.

A commencer par les avocats avec leurs effets de manche, leurs "Maîtres" et leurs "Monsieur le Bâtonnier", leur bonne conscience, leur "brillance oratoire", leur "secrétaire du stage", la façon souvent veloutée qu'ils ont de très, très rarement offenser l'autorité, leur soumission même parfois, leurs honoraires à 400 euros de l'heure voire plus pour certains.

Pareil pour les flics, avec leurs tutoiements déplacés, leurs muscles et leurs flingues, leur manque de technique qui font que seuls les petits couteaux sont arrêtés, leur manque de rigueur servant des dossiers partiaux et mal ficelés.

Des magistrats, je n'en parlerais même pas, de peur d'en réveiller certains en pleine audience. Il suffit de passer une journée assis dans les rangs du TGI de Paris ou de Bobigny (puisqu'on en parle), pour se rendre compte à quel point l'affaire d'Outreau n'a fait qu'effleurer le ridicule de la profession et l'inégalité et la complexité à laquelle les citoyens sont confrontés face à cette machine.

A lire la presse, les débats sur la délinquances se résument souvent en termes de solution à deux concepts souvent présentés comme étant opposés : prévention ou répression. De plus, la prévention est de gauche, la répression de droite. Mais il y a un troisième volet dont on ne parle pas, la réhabilitation des délinquants.

Pourtant il y a quelque chose de simple dans tout cela. Un individu viole la loi en s'en prenant aux biens ou aux personnes. Il peut se voir assigner un ou plusieurs avertissements dans le cadre d'une réglementation claire. Cependant, s'il ne peut pas s'arrêter de commetre des actes illégaux, l'autorité policière et judiciaire a le pouvoir et le devoir de le faire. Il doit y avoir une sanction qui amène si possible à une réparation effective des dommages causés et une réhabilitation effective du coupable.

Autrement dit, et en bref :

a. La prévention doit être renforcée considérablement mais passe par un large éventail de facteurs allant du traitement de la toxicomanie, jusqu'à la présence d'une police de proximité si possible issue des mêmes quartiers, d'établir une liste de toutes les expériences qui ont fonctionnées basées sur des vrais résultats et les encourager, d'en tenter de nouvelles et de les tester, de gommer l'échec scolaire et l'illettrisme, d'offrir des voies professionnelles praticables et faciliter la création d'entreprises dans ces quartiers, et même, d'enseigner une morale simple sur la base évidente de la vie en société dès le plus jeune âge (si, si !), etc.

b. je pense qu'il n'y a aucune raison d'être laxiste avec les délinquants et donc tolérance zéro quel que soit l'âge, quel que soit la condition d'origine ou les circonstances.

c. la police doit disposer de moyens suffisants pour apporter une réponse immédiate, juste et sans état d'âme en matière de sécurité publique.

d. les droits de la défense doivent être considérablement renforcées. Les avocats devraient avoir les mêmes droits que la magistrature et disposer d'une aide policière dans le cadre d'une contre-enquête si elle s'avère nécessaire, afin d'éviter les erreurs "d'appréciation" (comme dirait un certain ex juge d'instruction).

e. La réponse de la justice doit être impitoyable, rapide, rigoureuse et d'une égale sévérité.

SAUF que personellement, et c'est là, l'essentiel du débat à mon sens, je ne collerais jamais un jeune délinquant même un majeur en tôle et je comprends et j'adhère pleinement, s'il est avéré, au laxisme des juges de Bobigny.



C'est quoi la prison ? Un lieu de non droit où règne l'arbitraire, une loi de la jungle qui glorifie les plus durs, une misère intellectuelle, culturelle et sexuelle ou l'on apprend rien, sinon à obéir à l'extérieur et à haïr à l'intérieur en devenant encore plus fou et plus criminel, un lieu surpeuplé par des laissés pour compte bourrés de drogues encore plus facile à trouver que dehors ou de tranquillisants donnés par des matons en démission comme seule solution pour que les prévenus ou les condamnés puissent supporter ce régime.

Comment un magistrat peut-il rentrer chez lui bisouiller sa femme et ses gosses après avoir envoyé d'un coup de maillet un gosse de 18 ans voleur de voitures se faire enc…., racketté ou tabassé par des criminels endurcis dans une geôle de 6m2 ?

La prison est bien évidemment la pire des solutions ainsi que les systèmes de casier judiciaires qui maintiennent à vie un criminel dans sa condition et lui rendent pratiquement impossible sa réinsertion. Qu'on ne me présente pas les chiffres de non récidive… un ex taulard ressort moralement démonté et la haine au cœur même s'il évite de déconner par la suite, pas comme un citoyen responsable au sein de notre bonne république. Nous sommes en train de créer une génération revancharde extrêmement dangereuse.

Autrement dit, le problème ce n'est pas tant les flics ni les juges, mais le système carcéral. Il n'est pas seulement inapproprié, il est criminogène ! Le laxisme empire la situation, l'emprisonnement aussi.

Cette problématique n'est jamais abordée de cette façon… et a pour effet pervers d'augmenter la délinquance, et surtout sa gravité, lorsque les moyens pour la réprimer sont multipliés. A croire que tous les éléments de la chaîne pénale ont besoin du crime pour pouvoir continuer à exister et se payer parfois grassement sur la misère humaine ! Tout le blabla récent dans les milieux judiciaires, médiatiques et politiciens ne résout rien mais alimente le débat stérile de la politique spectacle : les propos "très fins" des "spécialistes", les petites phrases de Hollande bien senties à la tribune d'un public conquis d'avance, les critiques opportunistes et systématiques d'un Bayrou qui veut se faire remarquer, les manœuvres électorales d'une Royale ambitieuse, l'échec relatif mais bien réel d'une réponse seulement répressive du ministre de l'intérieur et de ses projets de contrôle "médicamenteux" de la criminalité, ou l'hystérie liberticide des extrêmes de droite ou de gauche. Bien sûr, pour les électeurs benoîts, ça présente toujours l'avantage d'être conforté dans ses propres certitudes et de vivre les problèmes sociaux sous l'angle de la politique dont l'arène ressemble de plus en plus au Parc des Princes un soir de match OM/PSG.

Mais il existe une réalité pure et dure qui doit être admise avant que nous soyons confrontés à ce que vivent les ghettos boliviens, mexicains, sud africains ou américains : il est certainement de la plus haute urgence de mettre en place en bout de chaîne un système certes coercitif, mais n'ayant pour seul but que d'aider un individu délinquant ou criminel – et ça vaut pour la criminalité en col blanc - à :

1. physiquement réparer les dommages causés par une contribution supérieure à ce qu'il a détruit, 2. regagner l'estime de lui-même et 3. se refaire une place dans la société en l'aidant à acquérir les bases qui lui manquent pour pouvoir le faire. Et là, ce n'est pas une question de temps volé à un individu en représailles pour ses méfaits, mais une question de résultats – cela prendra quelques mois pour certains, quelques années pour d'autres.

Seulement dans ce cadre, la répression, l'intransigeance ou la sévérité ne prennent réellement un sens.

Bien sûr, ça coûte cher, très cher même, d'entreprendre une réforme de cette taille et de mettre au point et construire les structures capables d'obtenir ces résultats… mais l'ampleur des moyens policiers, la machine judiciaire pénale moulant toujours le même grain, les dégâts directes ou indirectes causés par la délinquance ou la criminalité elle-même sont probablement tout aussi coûteux.

Cet effort, nous le devons à nous-mêmes - à nos familles - à nos enfants délinquants - à nos enfants victimes - aux ex-délinquants que nous avons peut-être été, peu ou prou, dans notre enfance mais qui ont eu la bonne fortune de ne pas se faire prendre et d'avoir rencontrer les hommes et les circonstances qui les ont fait changer de route - aux avocats pénalistes qui sont des milliers à essayer de faire leur job et donner un sens plus profond à leur profession qu'une plaidoirie de 10 secondes "j'implore la clémence du Tribunal" - aux flics corvéables qui doivent gérer, toujours gérer et prendre de plus en plus de risques dans un cadre professionnel de plus en plus flou - à ces petits magistrats de Bobigny ou d'ailleurs qui sont entrés dans la profession motivés par un désir de justice équitable et qui se retrouvent désabusés et marionéttisés dans leurs robes de deuil après quelques années d'exercice - à ces matons surmenés et spectateurs impuissants de la déchéance humaine et dont la profession serait réellement réhabilitée par ce type de solutions et enfin - à la société tout entière, à cette bonne vieille république des lumières, comme on dit, dont la chandelle éclaire de plus en plus faiblement le monde.

Il ne s'agit pas d'une utopie visant à résoudre l'infini problème de la nature de l'être humain ou de la criminalité, mais d'une simple question de bon sens pour essayer de ne pas contribuer activement à son expansion.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

enfin quelqu'un qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bàs!!

Anonyme a dit…

Excellent, j'avais vue une de vos interventions qui résummait ces points dans le blog d'Eolas.

Anonyme a dit…

Oui, pour tout ça... Il ne reste plus qu'à espéré des résultat des derniers états généraux de la condition pénitentiaire auquel j'ai participé en tant qu'ex taulard.

Qu'en pensez-vous d'ailleurs ?

Bien à vous