29 septembre, 2006
LES DICTATEURS MODERNES
Le dictateur classique est une espèce en voie de disparition. Les experts politologues s'interrogent sur les raisons profondes de cette tendance et soulèvent plusieurs hypothèses : la faible viabilité d'une économie autarcique face à l'envahissante prépondérance de l'économie de marché ? La multiplication des moyens de communication transnationaux et la difficulté croissante des mesures devant être mises en œuvre pour les contrôler ? La progressive désuétude des idées patriotiques, nationalistes, monarchiques, colonialistes ou impérialistes ? Le droit de regard et d'ingérence dont font preuve certaines puissances ou institutions internationales à l'égard des dictatures naissantes ? Les souvenirs encore proches de l'horreur rendent-elle les masses plus rétives à la soumission ?
Peut-être s'agit-il d'un peu tout cela et d'une raison essentielle liée à la nature même de ce système politique : il arrive très souvent que les victimes se vengent. C'est pourquoi la profession de dictateur est un métier à risque. S'il en est qui sont morts dans leur lit, nombre d'entre eux ont connu une fin beaucoup plus tragique. On peut même s'interroger sur la personnalité de ce type d'individus qui semblent avoir un goût prononcé pour l'autodestruction et poursuivre un but suicidaire en entraînant le maximum de gens avec eux.
Il est pourtant illusoire de penser que le temps des baudriers, des envolées militaristes, des assassinats d'opposants, des génocides des minorités et du totalitarisme est terminé. Les motivations sous-jacentes à l'établissement d'un régime totalitaire comme l'appétit de pouvoir, l'appât du gain ou la folie n'ont pas disparu non plus. Mais il est tous les jours plus difficile d'opprimer tranquillement dans son coin. Le regard du monde et des tribunaux internationaux, la mobilisation et les moyens de communication offerts aux observateurs et les éventuelles mesures de rétorsion économique de la part des vraies démocraties font peser une menace trop sérieuse sur la longévité de tels régimes. Les vieilles dictatures ont la vie dure mais de moins en moins de nouveaux candidats arrivent à percer grâce à la seule force brutale.
Alors quels sont les débouchés aujourd'hui pour un apprenti despote ?
A l'examen, l'avenir de la dictature, c'est la démocratie !
Le procédé consistant à subvertir une démocratie afin de la transformer en un régime oppressif n'est pas nouveau. En premier lieu, beaucoup de totalitarismes et leurs leaders se sont fait d'abord élire par une majorité confortable voire même écrasante. La méthode consistant à annoncer une plate-forme politique, chercher à gagner une approbation populaire sur cette base pour faire le contraire ensuite est aussi vieux que les systèmes électoraux. Dans une certaine mesure, cette technique ancestrale fait partie de l'arsenal du bon politicien que ses visées soient totalitaires ou pas. Mais dans l'histoire, lorsque ces techniques furent utilisées avec une certaine réussite par des oppresseurs, elles ont donné le jour à de véritables barbaries à l'issue desquelles leurs auteurs ou leurs principaux complices ont mal fini.
Le monde dans lequel nous évoluons aujourd'hui offre des méthodes d'une telle efficacité et d'une telle subtilité au dictateur moderne qu'elles lui permettent d'arriver aux mêmes fins sans prendre le moindre risque personnel, sans s'exposer à la vindicte internationale, sans même être soupçonné d'exercer la moindre autocratie. La population est sous contrôle, les opposants disparaissent ou sont muselés, il peut faire à peu près ce qu'il veut quand et là où il le veut et, comble du système, le peuple se croit toujours libre et souverain. La véritable modernité de ces stratégies dictatoriales ne réside pas dans la brutalité. Appelons cela plutôt des barbaries à visage humain, des fascismes mous, des dictatures douces, des totalitarismes politiquement corrects ; leurs outils : les geôles aux murs invisibles, les moyens de contrôle de la pensée librement consentis, le suicide des opposants plutôt que leur élimination par la force ; leurs tactiques : privilégier la forme plutôt que le fond, les mots à l'action, les dogmes à la raison, le corps à l'esprit, le matériel à la liberté, la dure réalité de la vie aux rêves ; le mystère à la connaissance, ; leur finalité : le pouvoir pour le pouvoir, la mise en esclavage des populations, la mise en service de tout un système gouvernemental au profit d'une petite clique.
La palette est large et chacun de ces points ou des ces "outils" mériterait un petit livre, mais il est utile d'en faire la liste ici :
1. Un contrôle de la population au moyen des drogues psychotropes doit être mis en oeuvre. Pour ce dictateur, tous les moyens devraient être utilisés afin qu'un nombre toujours plus important d'individus soient sous l'influence d'une telle drogue. Les drogues démobilisent l'individu, annihilent sa capacité de révolte, font qu'il se "sent bien" quelque soit les circonstances et son environnement. La plupart provoquant une dépendance psychologique ou physique, elles permettent de fidéliser pratiquement un "client" à vie. Sur un plan marketing, tout doit être fait pour en encourager l'utilisation, y compris en donnant une image libertaire et revendicatrice à leur consommation - les vrais rebelles pourront ainsi se faire piéger et disparaître. Bien entendu, la lutte contre le trafic devra être bien visible (mais se révéler inefficace). La consommation des drogues dites illégales devra être pénalisée afin de faire obstacle au maximum à la désintoxication (en obligeant le toxicomane à devoir avouer un délit et en rendant ainsi la démarche pour se réinsérer plus difficile) et d'encourager la vivacité du trafic (à la manière de la probition de l'alcool dans les années trente aux Etats-Unis). Les méthodes de désintoxication devront systématiquement proposer le remplacement d'une drogue par une autre afin de maîtriser sa diffusion et de s'assurer de la pérennité de cette clientèle pour le plus grand bien de l'industrie pharmaceutique. Les autres méthodes devront être soit découragées, soit carrément interdites. Une certaine partie de la communauté scientifique devra être mise à contribution afin que le recours à une drogue psychotrope soit pratiquement systématisé en réponse aux problèmes de société : mal-être, échec scolaire, criminalité, délinquance, obésité, tabagisme, alcoolisme, dépression, problèmes sexuels, maladie mentale, etc…
2. Le terrorisme devra être exploité voire inventé si besoin. La seule et unique fonction du terrorisme est l'instauration librement consentie par la population d'un régime policier et fasciste dans le pays contre lequel les terroristes semblent se battre. Le terrorisme est un "ennemi intérieur" invisible, dont le danger et la menace peuvent être invoqués à tous moments. Il est facile de se créer des ennemis qui auraient recours à ce genre de méthode, d'en contrôler des cellules au moyen de l'infiltration ou bien d'en inventer. L'influence des services secrets anglais dans la criminalisation de l'IRA dans ses débuts, est un exemple à suivre dans ce domaine. Dans une démocratie, le terrorisme est la seule méthode disponible permettant de justifier du contrôle des populations par des moyens policiers sans que personne (ou presque) n'y trouve à redire. Le fichage des populations par tous les moyens est un élément de l'arsenal répressif à mettre en place. L'existence d'une forte criminalité est également un facteur invitant les électeurs à favoriser un état policier pour contrôler "les autres". Il est donc essentiel que la criminalité augmente car elle présente pratiquement les mêmes avantages que le terrorisme sur ce plan.
3. Il est bien évidemment important de contrôler les médias, non pas pour empêcher toutes critiques (il est essentiel que ce régime ait l'air démocratique, rappelons-le) mais pour censurer une opposition réellement embarrassante si besoin et, surtout, pour diffuser et favoriser la stratégie du dictateur moderne. Lorsque l'on parle médias, il s'agit ici de tous les médias : les industries du disque, du livre ou du cinéma, par exemple - l'art étant un véhicule d'idées trop incontrôlable et dangereux pour les dictateurs. Ce contrôle doit se faire d'une manière souple et feutrée et doit être fait sous le couvert des rigueurs de l'économie. Les fusions et les acquisitions ou des soutiens financiers divers doivent être utilisés et non pas la censure pure et dure qui ne résout rien et fait la publicité des idées réprimées. Au final, seules, quelques grosses sociétés doivent contrôler l'ensemble des médias disponibles. En ce qui concerne les contenus, l'infiltration de journalistes à la solde du pouvoir dans les journaux principaux et l'utilisation de société de relations publiques permettent de nourrir à volonté la presse dans son ensemble, qui sert alors de caisse de résonance des idées crypto étatiques, se révéle la meilleure des méthodes. La télévision est aussi un fantastique moyen de contrôle du fait de son caractère hypnotique et il offre, en outre, la possibilité de faire passer des concepts sous la forme de fictions ou d'émission divertissantes. Dans ce cas, le contrôle des médias est relatif, mais suffisant pour servir les objectifs du dictateur moderne.
4. Le paysage politique doit être le plus bipolaire possible. L'important est de réduire le plus possible le nombre de candidats lors des enjeux électoraux majeurs. L'idée étant que le dictateur moderne n'a même pas besoin de se présenter lui-même à une élection. Il peut faire élire des marionettes. Il est beaucoup plus facile et profitable de contrôler les deux principales forces politiques même si elles semblent opposées en apparence. Les moyens d'influer sur les décisions et la politique générale de ces deux partis, peuvent être soit par l'utilisation de systèmes économiques, soit par une corruption douce, l'infiltration, les sondages, les sociétés de relations publiques, la presse aux ordres, les lobbies, etc. Toutes les alternatives politiques à ces deux partis doivent être ridiculisées, combattues, ignorées, minorisées et découragées par un système électoral ne favorisant que les deux grands partis. La méthode vaut pour les syndicats.
5. Le système administratif, économique, judiciaire et fiscal doit être le plus complexe et le plus contraignant possible. La complexité est une arme importante du dictateur. Elle rend tous sujets incompréhensibles au commun des mortels et il se voit obligé d'en recourir à l'interprétation "des spécialistes" ou de "think tanks/groupes de réflexion" faciles à contrôler pour en percer le mystère. De plus, les aberrations d'un système, ses inégalités et ses possibilités de contrôle deviennent invisibles. Egalement, l'impossibilité dans un système hyper complexe de connaître la loi, rend chaque citoyen potentiellement délinquant ce qui pourra toujours servir à le museler si sa révolte devient trop visible. Le système fiscal doit mettre l'accent sur la fiscalisation du travail et non pas sur celle de la spéculation, bien évidemment. Ce système à le mérite de paupériser la population sous couvert de solidarité et permet de mailler le peuple dans un fatras d'obligations diverses. Un système d'état providence n'est pas à combattre car il fait en sorte que chaque citoyen se sente redevable de l'état et soit complice du statu quo afin de préserver ses privilèges apparents. L'argent dans les mains des électeurs est dangereux car il donne aux populations la possibilité de contribuer à des projets qui pourraient s'avérer préjudiciables à la dictature douce. La fiscalité permet de canaliser cette énergie via l'état et donc via les moyens de contrôle.
6. L'éducation doit amener à échouer dans une certaine mesure et se réduire à un processus de sélection d'une élite intellectuelle pratiquement "héréditaire" et malléable en lui donnant la possibilité d'être un des grands bénéficiaires du système. Une éducation inefficace dans le but de contrôler une population a été largement éprouvée en Afrique du Sud pour museler la majorité noire pendant des années. Les systèmes éducatifs alternatifs, doivent être combattus systématiquement et si possible, interdits ou parfaitement contrôlés.
7. Les mouvements alternatifs qu'ils soient artistiques, politiques, religieux, sociaux doivent être si possible annihilés par tous les moyens car ils présentent souvent un danger pour le dictateur par leur caractère transnational. L'arsenal décrit ci-dessus peut être suffisant pour étouffer, contrôler et anéantir tout mouvement de ce type.
8. L'énergie doit être soit un monopole d'Etat, soit un monopole capitaliste. Une énergie très bon marché résoudrait tellement les problèmes des populations qu'elle pourraient alors avoir assez de temps à consacrer à des projets potentiellement dangereux pour la dictature. Il est absolument vital que la population doive se battre constamment pour assurer sa survie. Le contrôle de l'énergie permet aussi d'influer sur les conditions économiques de son propre pays par un système de causes et conséquences. L'énergie sous toutes ses formes doit être à la fois rare et chère. Un système fiscal taxant l'utilisation de l'énergie doit être mis en place si le prix de celle-ci venait à diminuer. Bien entendu, toutes les énergies alternatives doivent être interdites et reprises en main par les monopoles.
Cette liste n'est pas exhaustive et mériterait d'être complétée. Les lecteurs avertis sont donc invités à le faire dans leurs commentaires.
Bien entendu, ces techniques ne sont pas à la portée de n'importe qui. Sans parler des prédispositions individuelles, il faut que le futur tyran soit déjà dans une situation où le pouvoir lui est potentiellement accessible. Elles ne concernent que les chefs de grandes entreprises multinationales en position de quasi-monopole, les politiciens, les candidats, les présidents, les premiers ministres et les monarques à la tête d'états démocratiques ou les dictateurs déjà en place. Ils pourront ainsi "policer" leur régime, éviter les embargos et d'autres mesures de représailles internes ou internationales, et enfin laisser libre court à leur folie en jouissant de la griserie du pouvoir total sur les masses et en profitant des fantastiques moyens de s'enrichir offerts par l'économie de marché.
P.S. En relisant ce texte et son titre, il me vient une sourde inquiétude.
Est-ce que les rares lecteurs de ce blog insignifiant vont comprendre qu'il s'agit d'une boutade – d'une invitation à se montrer vigilants ?
Ou pire encore, est-ce qu'un apprenti dictateur perdu sur la toile et s'égarant sur ces lignes pourrait se saisir de ces idées et les mettre en pratique ?
Il serait peut être temps d'ajouter quelques formules d'usage et avertissements :
Attention, le texte que vous venez de lire ne peut être mis en pratique que par une personne entraînée ayant pris toutes les mesures de sécurité nécessaires afin de s'assurer de la totale innocuité de ses actes. Ne faites pas ça à la maison !
Tenir hors de portée des enfants (on ne sait jamais).
Texte Interdit aux adultes (sauf si accompagnés d'une personne sage et dénuée de tout appétit de pouvoir).
Si après avoir lu ce texte vous ressentez une vague nausée, un sentiment d'impuissance, une révolte montante, l'envie de brûler votre carte d'électeur ou une volonté soudaine et folle de vous battre pour protéger vos droits les plus importants, c'est que vous avez dépassé la dose prescrite. Dans ce cas, appelez immédiatement une ou plusieurs associations qui défendent vraiment les droits de l'homme – ils vous indiqueront les mesures d'urgence adéquates.
Et enfin : "Toutes ressemblances avec des personnes ou des faits ayant existés, existants ou qui existeront ne seraient qu'une pure coïncidence indépendante des intentions de l'auteur".
Voilà, ça va mieux !
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1 commentaire:
Très bon texte ,en voila un au moins qui n'est pas dupe
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